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Retour sur les grandes lignes du régime juridique des marchés de défense et de sécurité au Niger



INTRODUCTION


Le caractère sensible et stratégique des activités de défense et de sécurité appelle des règles dérogatoires dans bien de domaines de la vie d’un Etat. A titre illustratif, de nombreux Etats dans le monde consacrent des aménagements aux règles de droit commun applicables aux achats destinés à la défense et à la sécurité intérieure et extérieure. A cet égard, le code des marchés publics nigérien de 2022 [1] prévoyait déjà un chapitre V portant dispositions particulières aux marchés des forces de défense et de sécurité. Au regard de la situation politique et sécuritaire du pays, les autorités nigériennes ont jugé nécessaire d’adopter l’ordonnance n°2024‐05 du 23 février 2024, puis son décret d’application n°2024‐273/P/CNSP

du 04 avril 2024 [2] afin d’adapter certaines dispositions du code à la situation politique du pays. Le nouveau décret organise désormais les modalités de passation et d’exécution des marchés de défense et de sécurité.


1- UN CHAMPS D’APPLICATION LOGIQUEMENT ÉTATIQUE


La dérogation prévue par le nouveau décret concerne les marchés publics financés par le budget de l’Etat ou le Fonds de Solidarité pour la Sauvegarde de la Patrie (FSSP). Rappelons que cette disposition sur l’origine du financement du marché ne figurait pas dans le code de 2022 qui se contentait d’énumérer les marchés relevant des activités de défense et de sécurité. Le financement devient ainsi l’un des critères d’applicabilité du décret. Ce financement étant essentiellement étatique, on peut en toute logique conclure que le champ d’application du décret est exclusivement étatique. Il convient également de préciser que le FSSP est une nouveauté du décret puisqu’il n’existait pas dans le code de 2022, sa création datant de juillet 2023 à la suite du changement de régime politique du pays.


L’application du décret aux seules autorités contractantes étatiques est par ailleurs confirmée par la liste des personnes responsables principales des marchés énumérées à l’article 11 du décret [3]. Les collectivités territoriales et les autres catégories d’autorités contractantes ne seraient ainsi pas concernées par le décret.


Le champ d’application étatique s’illustre enfin par la nature des activités entrant dans le champ d’application du décret. Le décret est en effet applicable aux marchés répondant à des besoins à caractère militaire, qui relèvent normalement de la compétence de l’Etat. En somme, ne peuvent bénéficier des dispositions dérogatoires du décret que certaines autorités contractantes étatiques dont les marchés répondent à une liste précise de besoins énumérés au décret.


2- UNE PROGRAMMATION ET DES BESOINS NÉCESSAIREMENT CONFIDENTIELS


A la différence des marchés relevant du code des marchés publics, ceux du décret, financés sur budget général de l’Etat, font l’objet d’un plan prévisionnel annuel de passation classé « secret défense » ne faisant en conséquence l’objet d’aucune publication. Les échanges relatifs à ces marchés se font par courrier confidentiel.


La confidentialité entourant la programmation de certains marchés soumis au décret n’est guère surprenante compte tenu du caractère sensible des données de ces marchés pour la sécurité nationale. Cependant, on peut s’interroger sur l’exclusion accordée uniquement aux marchés financés par le FSSP dès lors que ces derniers répondent à des besoins à caractère militaire pouvant présenter un caractère sensible. Suivant cette logique, la confidentialité devrait s’appliquer à tous les marchés du décret afférents à la sécurité nationale, peu importe qu’ils soient lancés par la FSSP ou une autre autorité contractante.


3- UNE MISE EN CONCURRENCE RESTREINTE POUR PLUS D’EFFICACITÉ


Le caractère restrictif de la mise en concurrence s’observe d’abord par la limitation de candidats admis à répondre aux marchés soumis au décret. En effet, en dérogation aux principes généraux de la commande publique qui prônent une libre concurrence entre les opérateurs économiques, l’accès aux marchés publics du décret est réservé aux seuls opérateurs admis sur une liste restreinte. Quant aux modalités d’établissement de cette liste, le décret n’apporte pas plus de précisions. Seules les personnes compétentes pour mettre à jour la liste et les modalités de sa validation sont précisées à l’article 6 du décret.


La restriction de la concurrence se constate ensuite logiquement par le mode de passation des marchés soumis au décret. Ces derniers sont passés au moyen de la procédure d’entente directe sur autorisation d’un organisme créé par arrêté du Président du CNSP, Chef de l’Etat. Le décret opère en ce sens un changement important comparativement aux dispositions de l’article 63 du code des marchés publics. En effet, avant l’entrée en vigueur du décret, les marchés de défense et de sécurité étaient passés selon une procédure d’appel d’offres restreint. Le choix de la procédure de gré à gré dans le décret peut être justifié par une volonté de rechercher de l’efficacité pour faire face à la situation sécuritaire du pays, même si certains peuvent y voir un manque de transparence dans la passation de ces marchés [4]. Enfin, la recherche de l’efficacité se trouve également dans les dispositions relatives au délai de remise des offres exceptionnellement court pour les marchés du décret. Contrairement au code des marchés publics et à l’arrêté 0019/PM/ARCOP [5], le décret prévoit un délai de remise des offres de 7 jours calendaires à compter de la date de réception de la lettre d’invitation à négocier.


4- UNE INSTANCE DE SÉLECTION SUR MESURE, ENCADRÉE PAR DES RÈGLES DE NÉGOCIATIONS STRICTES


Dans la logique de la procédure d’entente directe, le décret prévoit la mise en place d’une commission de négociation spécifique aux marchés de défense et de sécurité. Celle-ci se démarque de la commission de négociation prévue par l’arrêté de 2023 [6] sur plusieurs aspects. Tout d’abord, la composition a légèrement évolué dans le cadre du décret avec une composition initiale de 8 personnes (4 titulaires et 4 suppléants), contrairement à l’arrêté de 2023 [7]. Ce nombre pouvant être augmenté en fonction de la complexité des prestations contrairement aux dispositions de l’arrêté relatif aux commissions. Ensuite et contrairement à l’arrêté, les membres de la commission doivent signer des attestations individuelles d’engagement par lesquelles chaque membre atteste avoir pris connaissance des règles d’éthique ainsi que des infractions et sanctions prévues en la matière [8]. La déontologie est ainsi mise en avant dans le cadre des travaux de la commission pour répondre aux critiques pouvant être liées au caractère non ouvert de la procédure d’entente directe. Il reste à espérer que cela ne soit pas une mesure d’affichage mais une véritable volonté politique visant à encadrer le choix des opérateurs économiques intervenant dans la satisfaction de besoins à caractère militaires.


5- DES MODALITÉS DE CONTRÔLE SPÉCIFIQUES


Le caractère spécifique du contrôle des marchés de défense et de sécurité relève principalement du délai laissé au contrôleur pour faire connaitre sa décision au visa du marché. Le contrôle a priori s’effectue ainsi dans un délai de trois (03) jours quand aucun délai n’était précisé dans le code des marchés publics. Cette précision de délai de contrôle peut trouver une justification dans la volonté de lutter contre la lourdeur administrative source de retard dans l’exécution de certains projets.


6- DES CONDITIONS DE CONCLUSION DES AVENANTS DÉSORMAIS PRÉCISÉES


Le nouveau décret apporte, contrairement au chapitre V du code des marchés [9], des précisions quant aux modalités de modification des marchés de défense et de sécurité en cours d’exécution. Désormais, pour conclure un avenant à cette catégorie de marché, il faudra montrer patte blanche. En effet, ces avenants ne pourront être conclus que si la modification envisagée est devenue nécessaire à l’exécution du marché et si elle ne présente pas un caractère substantiel, c’est-à-dire qu’elle n’a aucune incidence sur le montant, la quantité des fournitures, services ou travaux. Sur ce point, le décret reprend en grande partie les dispositions de l’article 154 du code des marchés publics. L’autre précision apportée par le décret est l’encadrement du montant des avenants qui ne peut être supérieur à 40% du montant initial du marché. Ce encadrement est à saluer dès lors qu’il limite les abus et oblige les autorités contractantes habilitées à procéder à une bonne définition de l’étendue de leurs besoins.


7- DES CONDITIONS D’EXÉCUTION DES PRESTATIONS GLOBALEMENT FAVORABLES AU TITULAIRE


L’exécution des marchés de défense et de sécurité est soumise à des conditions spécifiques globalement favorables aux prestataires. Tout d’abord, rappelons que le paiement des prestations en matière de marchés publics obéit aux règles de la comptabilité publique. Ces règles ont pour principe cardinal la séparation de la fonction d’ordonnateur et du comptable public [10]. L'exécution financière de certains marchés de défense et de sécurité déroge désormais à ce principe. C’est ainsi que le règlement des marchés sur financement du FSSP est soumis à un régime comptable autre que celui prévu par les règles de la comptabilité publique. Le règlement s’effectue à travers une décision de mandatement de l’ordonnateur accompagnée d’un ordre de retrait [11]. Aussi, les titulaires des marchés de défense et de sécurité bénéficient de conditions financières plus favorables comparativement aux titulaire de “marchés ordinaires” soumis au code des marchés publics. A titre illustratif, ces marchés sont exonérés de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) et des droits des douanes. Si ce point peut surprendre dès lors que l’exonération dont bénéficie le titulaire constitue une perte de ressources pour les caisses de l’Etat, il peut découler de la volonté des autorités nigériennes de s’assurer d’une réactivité dans l’approvisionnement en matériels militaires, ce en cas de besoins urgents. Enfin, les marchés sur financement du FSSP ne sont pas soumis à la formalité d’enregistrement par le titulaire auprès des services compétents de la Direction Générale des Impôts (DGI). Tout a donc été mis en œuvre pour faciliter les modalités d’exécution des marchés défense et de sécurité.


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[1] Décret n° 2022-743/PRN/PM du 29 septembre 2022 portant Code des marchés publics et des délégations de service Public, article 6

[2] Décret n°2024‐273/P/CNSP du 04 avril 2024 déterminant les modalités d’application de l’ordonnance n°2024‐05 du 23 février 2024 portant dérogation à la législation relative aux marchés publics, aux impôts, taxes et redevances et à la comptabilité publique

[3] L’article 11 du décret énumère comme personnes responsables du marché, des personnalités principalement étatiques notamment le

Ministre chargé de la défense, le ministre chargé de l’intérieur et de la sécurité publique, le ministre chargé des douanes etc

[4] Actu Niger : « L’Association Nigérienne de Lutte contre la Corruption dénonce l’adoption de l’ordonnance du 23 février 2024 », Dérogation prévue par le nouveau décret concerne les marchés publics financés par le budget de l’Etat ou le Fonds de Solidarité pour la Sauvegarde de la Patrie (FSSP)

[5] L’arrêté 0019/PM/ARCOP du 18 janvier 2023 fixant les délais dans le cadre de la passation des marchés publics et des délégations de service publics prévoyait un délai de remise des offres 15 jours calendaires pour les procédures d’entente directe.

6] Arrêté n°20/ARCOP/PM/du 18 janvier 2023 portant création attributions, composition type et composition des commissions des marchés publics et des délégations des services publics

[7] Cette composition de la commission de négociation est prévue par les disposition de l’article 12 décret n°2024‐273/P/CNSP du 04 avril 2024, article 12. L’article 42 de l’arrêté du 18 janvier 2023 précité prévoit une commission de négociation composée de 6 personnes (3 titulaires et 3 suppléants)

[8] Décret n°2024‐273/P/CNSP du 04 avril 2024, article 14

[9] L’article 70 du code des marchés publics ne précise rien quant aux modalités de conclusion des avenants aux marchés de défense et de sécurité. Il précise seulement que la passation d’un avenant est soumise à l’avis de non objection du Cabinet du Premier Ministre.

10] Décret n°2013-083 PRN/FM/ du 1er mars 2013, article 5

[11] Décret n°2024‐273/P/CNSP du 04 avril 2024, Article 34, alinéa 3

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